Le roux moche et autres préjugés : l’homme roux en question

Les roux sont moches, les roux sont des traîtres, les roux sont agressifs. Voici une liste de préjugés encore trop souvent entendus lorsque l’on parle des hommes roux. Comment expliquer leur persistance ?

« Petit, rondouillard, rouquin, et pourtant il aura connu huit mariages et non des moindres, Mickey Rooney est mort » … « Roux, moche et impopulaire, Ed Sheeran a bluffé tout le monde » … « Le roux c’est dur, surtout chez les hommes ».

Si depuis quelques décennies, la femme rousse a troqué l’image de la sorcière contre celle de la femme sensuelle et sexy, les hommes roux, eux, ne semblent toujours pas avoir très bonne presse. Préjugé genré, préjugé englué, racontons ton histoire pour mieux te tordre le cou…

[ Cet article est le fruit de deux lectures passionnantes que je conseille tout particulièrement aux roux :  Réflexions sur la question rousse de Valérie André (Tallandier, 2007) et Rouquin, Rouquine de Xavier Fauche et Lucien Rioux (Ramsay, 1985). ]

Les hommes roux sont moches

Parmi les idées les plus tenaces, la laideur supposée des roux tient à mon sens la première place. En réponse à Jonathan44, Kévin_Spot n’a-t-il pas dit en 2014 : « Tu confonds LA rousse et LE roux. Les rousses, c’est des bombes.  Les roux, c’est moche ».

Ahhhh, les forums de jeux vidéo pour ados, une vraie mine d’informations pour la blogueuse que je suis. Des kilomètres d’ignorance et de stéréotypes qui peuvent laisser imaginer ce qui se dit dans les cours d’école. Grand moment d’anthologie s’il en est, pour lequel j’ai préféré modifier les pseudos. Laissons à ces big boss du préjugé le droit de sombrer dans l’anonymat et la bêtise.

Vous l’avez peut-être vue, une récente étude commandée par Casumo, s’est intéressé au pouvoir de séduction des roux et à la perception que les femmes avaient d’eux. Au-delà des conclusions de ce sondage, c’est son objet même que je trouve très parlant. L’effet Ed Sheeran puisqu’on l’appelle ainsi, touche du doigt l’idée selon laquelle l’image que l’on se fait d’une minorité peut varier en fonction de ses icônes ou du discours qu’on lui rattache.

L’inconscient collectif rôde toujours, pour le meilleur et pour le pire… Le préjugé, qu’il soit dépréciatif ou valorisant, agit comme un filtre sur notre façon d’appréhender notre environnement. Il ne peut en ce sens passer pour vérité.

Si l’on regarde quelques décennies et siècles en arrière, au temps où Ed Sheeran, le prince Harry, Ewan McGregor, Eddie Redmayne ou Kristofer Hivju n’étaient pas encore nés, on constate que la rousseur masculine était plutôt apparentée à une disgrâce physique .

« Je n’y comprends rien à ce visage. Ceux des autres ont un sens. Pas le mien. Je ne peux même pas décider s’il est beau ou laid, parce qu’on me l’a dit. »
Antoine Roquentin, personnage roux de La Nausée (Source : Valérie André)

« La grimace était son visage. Ou plutôt toute sa personne était une grimace. Une grosse tête hérissée de cheveux roux. »
Victor Hugo, à propos de Quasimodo (Source :  Valérie André)

Je ne verserai pas ici dans l’inventaire soporifique mais les cas d’hommes roux laids abondent dans la littérature. Au fil du temps, au gré des mots, ceux-ci sont venus réaffirmer un peu plus à chaque fois la laideur des roux. Ce préjugé, par l’ignorance des uns, la peur ou la malveillance des autres, a fini par se muer en vérité déraisonnée, en évidence généralisée.

Les hommes roux sont hypocrites et traîtres

« La Cène » (1519, retable de Herrenberg) de Jerg Ratgeb
« La Cène » (1519, retable de Herrenberg) de Jerg Ratgeb

Qui n’a pas en tête l’image du Judas roux, trahissant Jésus sans vergogne ? Et les autres, Caïn, Saül, Ganelon (La Chanson de Roland), Mordred (La Légende du Roi Arthur) ? Tous des traîtres, tous des roux !

Après tout, n’est-ce pas la preuve que l’on ne peut faire confiance à ces hommes dont les cheveux rappellent inlassablement la couleur du Mal, la couleur du vice, la couleur de Satan ?

« Les courtisans, les rousseaux et les teigneux en portaient les premiers (…). Les rousseaux, pour cacher la couleur de leurs cheveux, qui font horreur à tout le monde, parce que Judas, à ce qu’on prétend était rousseau. »
Histoire des perruques,  Jean-Baptiste Thiers, 1690 (Source :  Valérie André)

« À ce qu’on prétend »… Et c’est bien là tout le problème. Car non… Judas n’était pas roux ! Les textes de l’Évangile ne le mentionnent en effet jamais comme tel. Sa rousseur supposée est apparue plus tard dans l’iconographie et les textes médiévaux, d’abord à l’époque carolingienne, puis aux XIIe et XIIIe siècles.

Alors pourquoi ? La rousseur, couleur hors-norme, couleur flamboyante, couleur porteuse de  tant de symboles était en toute logique celle de l’opprobre. Il était donc plus simple et plus lisible d’en affubler Judas et tous les félons littéraires ou bibliques.

Tu es roux, tu es le seul, tu es différent. C’est forcément toi. Ton apparence crie ton infamie et transpire ta malveillance.

Superstition déraisonnée, croyance sans fondements ? Certes, mais si la « science » s’en mêle et en atteste ?

« Ceux qui ont les cheveux rouges sont ordinairement envieux, vaniteux, fallacieux, superbes et méprisants ».

« Les blonds sont magnanimes, car ils tiennent du lion ; les roux sont très méchants car ils tiennent du renard ».
(Source :  Valérie André)

Eh oui, c’est là que le bât blesse. Les traités de physiognomonie et de zoomorphie, dont sont extraites ces deux citations sont venus, dès le IVe siècle avant J.C., pérenniser ces idées reçues. À grands coups de raccourcis, d’analogies simplistes et de manipulations mentales, ces disciplines ont contribué à l’enracinement de préjugés encore tenaces aujourd’hui.

Car après tout, si la « science » l’affirmait, n’était-il pas plus sage de se méfier des roux ?

Les hommes roux sont violents

« C’est vrai que j’ai entendu dire, qu’il est impossible de trouver un roux pacifique. Ils sont violents: j’en ai la preuve effective. »
Chanson de Geste – XIIIe siècle  (Source :  Valérie André)

Mais oui, bien sûr ! Si les roux sont roux, ce ne peut être un hasard. Le roux, c’est le rouge, le sang, la colère. Ils sont donc essentiellement enclins à l’agressivité et à la violence ! Nul besoin qu’ils parlent. Leur seule présence, leur seule différence agressent…

Ça, c’était avant, me direz-vous. Oui, bien sûr, les mentalités ont évolué, fort heureusement. Mais les préjugés continuent à vivoter malgré tout, de-ci, de-là, insidieux et silencieux. Ou presque…

J’allais, il y a quelques années, chercher ma fille à l’école quand, attendant devant la porte de la classe, j’entendis une conversation entre deux mamans. L’une et l’autre parlaient d’une amie commune, qui semblait connaître des difficultés avec son fils. Un enfant très dynamique, un peu trop apparemment et qui usait des poings à l’école : « C’est un rouquin, c’est un petit teigneux. » Je lui confirme l’axiome par l’exemple ou je fais celle qui n’a rien entendu ?

Comment une personne vivant au XXIe siècle pouvait-elle encore énoncer de telles âneries et véhiculer un préjugé déjà vivace au Moyen-Âge et même avant ?

Tout simplement, parce que le roux est porteur de multiples symboles : hypersexualisation pour les femmes et agressivité pour les hommes. On le constate d’ailleurs encore aujourd’hui dans le traitement que l’art et les médias font de la rousseur.

On pensera ainsi à l’Homme-Mystère dans Batman ou à Patrick Mc Murphy dans le roman Vol au dessus d’un nid de coucou  ou encore à Chucky, la poupée de sang de John Lafia.

“Il est plus facile de désintégrer un atome qu’un préjugé.” (Einstein)

Aux femmes rousses la sorcellerie puis l’extrême sensualité. Aux hommes, la laideur, la traîtrise et l’agressivité. La mauvaise odeur, elle, est partageuse et ne fait pas dans le sexisme.

Mon objectif ici n’est nullement de tomber dans la victimisation. J’ai rencontré et écouté de nombreux roux et rousses. Certains m’ont dit n’avoir entendu que très peu de remarques à leur égard, d’autres se souviennent de quelques moqueries passagères et sans effets.

Mais pour d’autres, ce furent des brimades voire du harcèlement. Eux semblent marqués, troublés dans leur identité. Toutes les remarques, aussi légères soient-elles, peuvent en effet laisser des traces. Je pense notamment à certains qui me disent connaître des difficultés avec les femmes: « C’est parce que je suis roux. C’est parce que je suis moche. » Comme si le préjugé leur avait ôté leur singularité, leur personnalité propre pour les figer dans une identité imposée.

Décrypter le préjugé est donc selon moi la clé pour en démontrer la vacuité. Une idée préconçue n’est ni plus, ni moins que le fruit de l’ignorance, un jugement pour lequel on ne fait pas appel à la raison. Et c’est bien là l’histoire de la rousseur.

Parce qu’elle est rare et ostentatoire, celle-ci souffre de multiples symboliques, interprétations et postulats. A l’époque où la génétique n’existait pas, les contemporains ont préféré des explications versant dans la superstition et le surnaturel. Se représenter l’autre, le différent, définir son essence étaient nécessaires pour appréhender son environnement. Et c’est justement là qu’interviennent les stéréotypes : le réel, protéiforme, est difficile à comprendre et suscite des peurs. Catégoriser, classifier, stigmatiser aident à le simplifier et à le maîtriser.

Toutes les minorités en ont fait les frais et la rousseur en fait partie.

Depuis l’Antiquité, elle représente l’altérité et a cristallisé les peurs et les questionnements existentiels. Tu es un homme roux, marqué de la différence. Tu es forcément mauvais. Ta personnalité déteint sur ton physique, tu es donc laid. Ta chevelure, flamboyante, couleur sang, couleur satanique, fait de toi un être colérique et traître. C’est pour cela que tu es comme ça. Ce ne peut être que la seule explication à une telle différence.

Ces croyances ont traversé les générations et furent comme je vous le disais confirmées par des pseudo-sciences telles la physiognomonie ou la zoomorphie. Du « on-dit », on fit alors une vérité.

« La médecine, les pseudo-sciences, la religion, la superstition, la peur, la bêtise ont renforcé ces préjugés. »
(Valérie André)

Si aujourd’hui la génétique a apporté une explication rationnelle à notre particularité, les médias eux ont pris le relais. Au cinéma, les roux ont longtemps campé des personnages faibles, pas très sexy ou colériques… ou tout simplement à part. À votre avis, pourquoi Tormund ou Sansa Stark sont-ils roux ? Force de caractère et marginalité ne caractérisent-elles pas ces deux personnages du Trône de Fer ? L’on joue encore sur les symboles et nos représentations… L’inconscient collectif plane sur nos têtes…

Pour conclure, l’effet « Ed Sheeran » peut, je crois, changer la donne et montrer à quel point les roux ne sont pas ce que l’histoire a voulu nous faire croire.

De la même façon, l’exposition Red Hot de Thomas Knight , malgré son casting de choc, est parvenue à prouver que les roux eux aussi pouvaient être beaux. Mais là encore, attention au préjugé. Dépréciatif ou gratifiant, le stéréotype ne sera jamais vérité. Il convient de ne pas tomber dans l’écueil de la catégorisation et de regarder chaque individu avec un regard neuf.

Utopie, quand tu nous berces…

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